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7 mars 2016 1 07 /03 /mars /2016 09:16
La femme sauf votre respect ! dites-vous ?

Par Ahmed Cheniki

Une femme, sauf votre respect, disait-on, on le dit toujours dans certains endroits, n’a pas le droit d’élever la voix, de rire aux éclats, d’être belle.

Agressée dans la rue, elle aurait une tenue particulière et un corps bien fait, signes de provocation. La beauté serait un crime. Sexuellement, elle devrait subir les désirs et le poids d’un homme illusoirement triomphant. Elle ne devrait pas trop parler ni s’essayer au jeu des ambitions faites homme. Une femme est une femme, un point, c’est tout. Ce qui aggrave les choses, c’est que dans de nombreux espaces, elle arrive à s’imposer et à emmerder des hommes qui n’en peuvent plus de femmes qui leur volent leur pain et leur boulot. Comme au temps où on disait des immigrés qu’ils volaient le pain des Français. La femme est décidément une immigrée. Marx ne soutenait-il pas que la femme fût doublement exploitée, comme femme et comme travailleuse. Sorcières, disait-on.

Le féminin était/est péjoré dans toutes les langues. Il y a un très beau livre de Marina Yaguello qui analyse les espaces linguistiques consacrés aux femmes qui arrivent, certes, grâce aux luttes, à imposer un autre vocabulaire. Pourquoi ne dit-on pas «hommelette» alors que le mot «femmelette» est admis dans le jeu lexical ? Alors que tout le monde sait que les hommelettes peuplent la cité. Même le micro-ordinateur est sexiste, quand j’utilise le mot hommelette, il se presse à souligner le mot en question, alors que femmelette, ça existe, ça passe parce qu’un homme serait un maître, un seigneur, mais une maîtresse, ça respire la dévergondée, quand je cherche le féminin de gars, j’abandonne parce que le mot subit un glissement sémantique défavorable, faisant subitement de la «garce», «une femme de mauvaise vie». C’est vrai qu’aujourd’hui, le vocabulaire commence à subir un retour de manivelle féminin, même si la parité est encore éloignée des institutions de la république, à l’Académie française, par exemple.

Ne parlons pas de chez nous, en Algérie qui n’est, certes, pas l’Arabie Saoudite, soit dit en passant, où une femme n’a pas le droit de conduire. Elle serait l’éternelle mineure. Apparemment, les choses bougeraient grâce à des femmes qui tentent de secouer le dattier masculin, avec le soutien d’autres femmes d’autres pays. Qu’ont-elles à voir avec nous, disent-ils ? Ce sont des «occidentales», rétorquent-ils alors que Saida, une «musulmane», pour reprendre les catégories religieuses chères à certains, les considèrent comme ses sœurs. Elle aussi s’est élevée contre l’agression qu’avait subie sa sœur, la femme de chambre, Nafissatou Diallo que des gens comme Finkielkraut, désormais dit-on «immortel» diabolisait parce qu’elle était femme et noire, il avait récidivé, ce monsieur dont on dit qu’il est philosophe, en déclarant, sans rire, que la fillette de treize ans violée par le cinéaste Roman Polanski, faisait plus que son âge. Saida était solidaire. Elle se souvient de quelques passages écrits, il y a quelques années par un autre «philosophe», Pascal Bruckner écrivait ceci dans le quotidien, Le Monde, à propos de l’affaire DSK, prenant parti, bien entendu, contre la victime, Nafissatou Diallo : «L'Amérique du Nord, à l'évidence, a un problème avec le sexe qui vient de son héritage protestant mais elle veut en plus donner des leçons au monde entier.». «Il s'est passé en effet aux Etats-Unis un phénomène singulier qui n'a pas touché l'Europe : l'alliance du féminisme et de la droite républicaine, ultraconservatrice». «De quoi s'agit-il en l'occurrence ? De redoubler la condamnation des plaisirs par la criminalisation de l'acte hétérosexuel : tout homme est un violeur en puissance, toute femme une victime potentielle». «Aux Etats-Unis, la sexualité est le biais par lequel chaque citoyen devient potentiellement la propriété des autres.». Elle se remémore aussi ces mots sur la sexualité en France de l’historienne, Florence Montreynaud (Le Monde du 24 août 2011): «Une femme osant en public exprimer son désir à un homme est qualifiée d'"allumeuse", "provocante", ou "chaudasse", tous mots inusités au masculin. À tous âges et dans tous les milieux, la voilà classée — "une pute !" — et rejetée du groupe. Alors que celui qui "ne pense qu'à “ça''" et "baise tous azimuts" est salué comme un "chaud lapin" ou un "don Juan", son équivalent féminin est une "grosse nympho" qu'"a le feu au cul" et "y a qu'le train qui lui est pas passé d'ssus".» Et il n’y aurait «pas eu mort d’homme» (Jack Lang, c’est une femme, pardi !), ce ne serait qu’ «un troussage de domestique» (Jean-François Kahn).

Elle n’avait pas aimé que le drame des femmes de Cologne, bien réel, fût instrumenté pour accabler des populations regroupées pour la circonstance, en masse informe, en communauté religieuse, alors que beaucoup de choses les distinguait les uns des autres. Le sexe est une affaire qui a convoqué tous les imaginaires, Freud en a fait son divan. Dans les pays dits musulmans, il y eut des textes fabuleux comme Les 1001 nuits dont les passages relatifs au sexe furent censurés dans la traduction française de Galland, cachez-moi ce sexe que je ne saurais voir, semble dire le traducteur. Il y eut aussi, entre autres textes, celui d'Abderrahmane Nefzawi, La prairie parfumée où s'ébattent tous les plaisirs (1420), un traité d'érotologie ou de l'Algérien, Ahmed Tifashi, né en 1184, du côté de Tiffech (Souk-Ahras), Les délices des cœurs par les délices des cinq sens.

Il y avait aussi l’histoire de ce chanteur qui tenta de faire avorter de force son ex-compagne ou l’autre qui avait battu sa femme ou les soldats qui violèrent des femmes en Irak et dans les colonies, de ces femmes violées, agressées, qui se comptent par dizaines de milliers à Paris, Alger, Le Caire, Doha et ailleurs. C’est le genre féminin, se dit-elle, qui est visé, attaqué, au-delà de ces populations, plurielles et différentes, déjà intégrées par l’école. La femme serait une garce correspondant à la définition du Larousse, «femme mauvaise ou très désagréable», une «salope», une «chienne». Une fois, dans un bistro parisien, j’avais entendu des hommes apparemment tout contents d’eux-mêmes traiter Ségolène Royal de tous les noms et surtout de «mal baisée» parce qu’elle a osé se présenter à la présidentielle. Même un ponte du parti socialiste français l’avait invitée à retourner à la cuisine. C’est vrai que même en France, elles ont commencé à voter très tardivement, après la libération. Une femme qui rit, qui parle, qui revendique est une «mal baisée» parce qu’une femme n’a pas d’esprit, elle est faite pour obéir et être protégée par un homme. Une femme qui attend dans un lieu public, on lui demande toujours si elle attend quelqu’un, pas à l’homme. C’est son destin, dit-on. Elle est exclusivement sexe, espace de plaisir non partagé, unilatéral, désirs inassouvis.

Quand les noms de Louise Michel, Lalla N’soumer, Rosa Luxembourg et bien d’autres sont évoqués, la sentence est rapide : «garçons manqués», Mra Hachakoum (Une femme ! Sauf, votre respect ou Dieu vous préserve). Une femme qui réussit est forcément un garçon manqué, une garce. Un homme doit l’éviter, parce qu’une femme qui réfléchit est un problème, elle le domine, ça, c’est inadmissible, se dit-il. Elle est, semble-t-il, incapable de diriger un ministère important ou un syndicat, ce serait une affaire d’hommes, du moins dans un pays du «Tiers-monde», pour reprendre le mot-bateau d’Alfred Sauvy. Les femmes arrivent à se défendre, comme ma fille qui a réussi à terrasser un garçon se prenant pour un Rambo, par une prise dont elle a le secret. Comme j’étais fier de ma fille qui a, par ce geste, vengé toutes celles, agressées, parce qu’elles sont femmes. L’ami Kateb Yacine qui disait souvent qu’une femme valait son pesant de poudre aurait été fou de joie, lui qui n’arrêtait pas de dire que sans l’émancipation de celles-ci, rien de bon ne se ferait. J’entends très bien ce rire volcanique dans un pays où les discours officiels regorgent, de manière extraordinaire, surtout lors de la journée du 8 mars, de formules-fleuves célébrant l’indispensable "émancipation" des femmes tout en plongeant dans le passé, notamment celui de la guerre de libération, où, soit dit en passant, aucune femme, héroïne soit-elle, n’a occupé un poste élevé de responsabilité. Parfois, on va plus loin en appelant à la rescousse Fatma N’soumer et bien d’autres. Le discours se conjugue constamment au futur antérieur. Mohammed Dib croyait la même chose que Kateb Yacine. Arfia dans son roman, «La danse du roi» qui était chef d’un groupe de maquisards durant la guerre de libération est exclue du champ de la représentation et du pouvoir, une fois l’indépendance acquise. Les femmes à la cuisine, pour reprendre cet ancien responsable du P.S.

Simone de Beauvoir a ainsi raison de dire qu’on ne naissait pas femme, on le devenait, rejoignant le grand poète Louis Aragon qui chantait que la femme est l’avenir de l’homme, à Alger, Paris, Cologne, Lomé ou Damas, où on pense que la tragédie de Cologne est vécue au quotidien par les femmes, au-delà de ces communautés construites et de ces convocations intéressées de singularités radicalisées investies de religiosité et de stigmatisation raciale. Saida sait que l’histoire des races est de l’histoire ancienne, il y a une race humaine.

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