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4 janvier 2016 1 04 /01 /janvier /2016 11:11
Benjamin Stora

Benjamin Stora

Le leader algérien, Hocine Ait Ahmed, l'un des neuf dirigeants historiques qui a lancé la guerre contre la France en novembre 1954, sera enterré aujourd'hui vendredi 1er janvier 2016 en Kabylie. Voici un témoignage, en forme d'entretien, pour le journal algérien l'Expression.

- Hocine Aït Ahmed, dernier chef historique vient de décéder. Quel sera d'après vous l'héritage laissé par ce monument de notre histoire à la génération d'aujourd'hui ?

A mon avis, l’héritage premier est celui du combat anticolonial livré très jeune. Il est l’un des rares jeunes lettrés de l’époque à rejoindre le PPA. Il le fait par souci de justice, d’égalité entre tous les hommes, par refus de voir une partie de la société algérienne, « indigène », rejetée dans la sous-humanité, le mépris décrété par le système colonial. Hocine Ait Ahmed n’a jamais été un adversaire du peuple français, mais l’homme qui a combattu un système colonial qui se croyait propriétaire du pays pour longtemps.

Le second héritage est celui, bien sûr, des combats livrés pour la démocratie, pour le respect des droits de l’homme, après l’indépendance de 1962. Cherchant à tout prix à préserver l’unité de la direction politique, mais n’y parvenant pas dans le fameux été 62. L’unité ne signifiant jamais à ses yeux le refus de la pluralité politique, ou culturelle.

- Vous, qui avez connu Hocine Aït Ahmed l'homme opposant, soit en personne soit à travers vos travaux de recherches, au régime algérien, que vous aura le plus marqué chez lui?

J’ai rencontré pour la première fois Hocine Ait Ahmed au début des années 1980 à Paris. Il venait de soutenir sa thèse sur la question des droits de l’homme dans les pays du tiers-monde. A cette époque, je travaillais à la rédaction de mon Dictionnaire biographique des militants nationalistes algériens, ENA/PPA/MTLD, publié en 1985, et il m’a beaucoup aidé en me donnant des précisions sur la vie et l’activité des militants. Il travaillait alors à la rédaction de son livre autobiographique, Mémoires d’un combattant, publié en France en 1983, et qui a été une « mine » de renseignements pour le jeune historien que j’étais. J’avais été frappé par son méticuleux travail de recherches pour écrire son livre, avec un souci d’exactitude, de recoupement des sources. C’était alors, avec le livre de Ferhat Abbas, L’indépendance confisquée, l’un des très rares ouvrages de souvenirs de militants nationalistes, et qui servait de référence notamment pour la connaissance du mouvement nationaliste en Kabylie, ou pour les préparatifs d’une insurrection avortée en mai 1945. Ecrit avec justice, objectivité. Par exemple, au sujet du personnage de Messali Hadj, dont j’’avais établi la première biographie en 1978, et que Hocine Ait Ahmed avait combattu en 1954 au moment de la création du FLN, il dressait le portrait d’un homme chaleureux et attentif. A contre-reçu des idées reçues à l’époque. Il a rendu un hommage appuyé à sa compagne, Emilie Busquant, lors d’une cérémonie plusieurs années (voir texte en pièce jointe)). En d’autres termes, il savait respecter un adversaire politique, c’était un démocrate authentique.

- Quel impact Aït Ahmed aura eu sur cette Algérie actuelle?

C’est difficile à dire. Il apparaît surtout comme un homme de principes, de refus des compromissions avec l’ordre établi. Intransigeant, et ce refus de la compromission, et non d’un compromis possible, lui a été beaucoup reproché, surtout au moment des années 1990, dans la décennie sanglante que l’Algérie traversait. Mais il restait ferme sur ce principe : « Ni Etat policier, ni régime intégriste ». L’échec de cette « troisième voie » l’isolait, mais il ne renonçait pas. C’est peut être l’image de ce refus obstiné face à l’Etat, qui restera.

- Vous qui êtes l'un des spécialistes et analystes les plus respecté et sollicité de la guerre d'Algérie, ainsi que l'observateur de référence durant les événements traversés par l'Algérie indépendante, que pensez - vous du rôle politique joué par Hocine Ait Ahmed à travers son combat ?

Il a mené un combat dans des conditions difficiles d’isolement. D’abord, après son arrestation en octobre 1956, emprisonné, et hors du terrain de combat contre le colonisateur. A l’extérieur de son pays ensuite après 1966, cherchant inlassablement les voies d’un rassemblement démocratique. Au moment du « printemps berbère » en 1980, ou celui de la création de la première ligue algérienne des droits de l’homme, avec Ali Yahia Abdenour. Dans la création, avec l’historien René Gallissot du Comité pour la vérité sur l’assassinat d’Ali Melici en 1987. Je le voyais aussi dans ces terribles années 90, cherchant les voies d’un compromis pour sortir de la crise. C’était un militant, qui récusait le terme de « chef historique ».

-Hocine ait Ahmed a choisi d'être enterré dans son village natal et a souhaité des funérailles populaires refusant des obsèques nationales et officielles dans le carré des martyrs. Pour les observateurs avisés, la volonté d'Ait Ahmed s'inscrit amplement dans sa rupture avec le régime contre lequel il s'est toujours opposé. Quelle signification donnez - vous à cette volonté?

Il resté fidèle, jusque dans la mort, à ses principes. Refuser l’arbitraire, le mépris organisé par les pouvoirs en place. Cela ne m’étonne pas. Mais il est normal aussi que l’Etat-nation rende hommage à celui qui a été l’un des pionniers dans la lutte anticoloniale. Le peuple lui, dans son immense majorité, voit en lui l’homme des refus, le combattant de la liberté.

-Un dernier mot sur Aït Ahmed: un souvenir, un constant, une anecdote etc.

Au moment de la réalisation de mon documentaire, « L’indépendance aux deux visages », diffusé en 2002, il m’avait accordé un grand entretien. Et j’ai été frappé par son aspect chaleureux, son souci de rendre vivante cette histoire si compliquée. Il expliquait en restituant des anecdotes savoureuses, comme par exemple les débats tumultueux du congrès de Tripoli en juin 1962, ou l’élaboration de la première Constitution algérienne dans un ….. cinéma d’Alger en septembre 1962. C’était un homme qui avait toujours le sens du détail, de la pédagogie pour la transmission d’une mémoire aux jeunes générations.

Benjamin Stora.

Dernier ouvrage paru :

Les mémoires dangereuses. De l’Algérie coloniale à la France d’aujourd’hui.

Ed Albin Michel, 2016.

Mediapart

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